Les acquis, les vertus, les promesses des stratégies « ludo-éducantes » numériques pour le jeune public

Les oppositions traditionnelles entre jeu et sérieux, et jeu et pensée ont été déconstruites par beaucoup de chercheurs. Sur cette question du but, Roger Caillois dit que le jeu « est condamné à ne rien fonder ni produire, car il est dans son essence d’annuler ses résultats au lieu que le travail et la science capitalisent les leurs et, peu ou prou transforment le monde » (1958 : 22). Si cela peut paraître une limite, c’est aussi ce qui rend la médiation qu’il peut mettre en place, entre la réalité et le joueur, potentiellement productive. En effet, les actes posés dans le monde ludique auront bien des conséquences mais comme celles-ci restent seulement dans le monde ludique, elles n’atteignent la réalité du joueur. Celui-ci pourra donc expérimenter des règles sans prendre de risque. Et pour peu que ces règles soient transférables au monde réel, les schémas de pensée qu’il aura activés dans le jeu pourront être reproduits dans la réalité. Contrairement à certaines conceptions comme celle d’Alain qui le considérait comme une activité futile, voire inutile, pour le psychopédagogue Jean Piaget, le jeu « à concevoir, et comme relié à la pensée adaptée par les intermédiaires les plus continus, et comme solidaire de la pensée entière » (1978 : 157). Puisque jeu et intelligence ne sont pas antinomiques, il peut donc être un outil de médiation du
savoir à part entière. Le jeu est également défini comme une activité autotélique : c’est-à-dire une activité qui n’a de justification qu’elle-même, on ne joue que pour jouer, le but d’un jeu est contenu à l’intérieur de lui-même, il n’y a pas d’objectif extérieur à ce jeu. Mais une question de taille persiste : cette caractéristique n’est-elle pas contradictoire avec les objectifs d’apprentissage que l’on a dans les cédéroms ludo-éducatifs ou les jeux dits sérieux ? Utiliser le jeu comme un médiateur pédagogique n’est pas gratuit pour les éducateurs et est chargé d’intentions par rapport à ce qu’ils peuvent anticiper des conséquences possibles. Pour qu’elle remplisse correctement sa fonction de jeu, l’activité doit pouvoir rester gratuite, aux yeux des enfants. Je propose donc de parler de « ludo-éduquant » et de « jeu éduquant ». Même si ces termes peuvent sembler lourds, le participe présent évoque de façon juste l’idée de conséquences liées à une pratique réelle.